3/18/2016

L'agroforesterie pour préserver les forêts et les hommes



L’agroforesterie se place à l'interface des questions d'agriculture, d'environnement et d’économie sociale. En intégrant des arbres dans les exploitations agricoles, l’agroforesterie permet de diversifier la production afin d’améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales.

Définition


L’agroforesterie est un mode de culture des terres associant plantes ligneuses (arbres) pérennes en interaction écologique ou économique avec des cultures saisonnières ou de l’élevage.

Les différents types d’agroforesterie donnent différents rôles à l’arbre :

·         Les arbres ont une fonction d’ombrage ou d’apport fertilisant pour les cultures.
·         Les arbres sont alignés et servent de brise-vent, de délimitation des parcelles, de haies vives destinées au contrôle des animaux,  ou contre l’érosion.
La production complémentaire associée à ces systèmes est la valorisation du bois-matériaux ou combustible[1].
·         L’arbre est un élément essentiel des agroforêts ou « systèmes agroforestiers complexes » correspondant à des associations multi strates de plusieurs espèces, aux utilisations multiples et complémentaires (on parle également de jardins-forêts). Cette forme est la plus courante en zone tropicale et pratiquée depuis longtemps par les populations autochtones.

Avantages écologiques de l’agroforesterie

·         La protection des plantes les unes par les autres contre leurs parasites permet de réduire l'utilisation d'engrais et de pesticides.
·         Les arbres sont plus résistants à la sécheresse car du fait des cultures en surface, ils doivent s'enraciner plus profondément et sont donc plus résistants à la chaleur.
·         Cet enracinement profond permet de récupérer les nitrates en profondeur et donc de limiter la pollution des eaux.
·         L'agroforesterie permet également de contribuer à la biodiversité. On peut citer l'exemple de la chauve-souris qui ne peut pas chasser les insectes dans les champs classiques car l'absence d'arbre ne lui permet pas de se guider avec son système de sonar interne. Lorsqu'on plante des arbres au milieu des champs, on permet le retour des chauves-souris et donc la diminution de la prolifération des insectes. En outre, si en réinstaurant un véritable écosystème, on peut également réintroduire des nuisibles tels que limaces ou campagnols, on favorise également le retour de leurs prédateurs, ce qui limite finalement les dégâts éventuellement causés aux cultures.
·         Les agroforêts fournissent les éléments de substance nécessaires aux populations humaines, évitant à ces dernières de puiser dans les forêts « naturelles ». Les agroforêts préservent donc les forêts primaires.
·         La diversité des espèces cultivées sur une même parcelle permet d’étaler les dates de récoltes et donc de conserver en permanence une bonne écologie au système.
·         La qualité des sols est également améliorée grâce à la litière formée par la chute des feuilles et le bois fragmenté que l'on peut produire à partir des tailles des arbres.
·         Les systèmes agroforesteriers permettent de stocker du carbone dans les plantes et le sol. De plus ces systèmes de cultures engendrent la diminution de la pression sur des forêts naturelles, dont la destruction est le plus grand émetteur de carbone terrestre. Enfin, les technologies d’agroforesterie sont avantageuses pour la conservation du carbone dans les sols.
Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui s’est vu attribuer le Prix Nobel de la Paix, « plus d’un milliard d’hectares sont disponibles pour une conversion à des systèmes agroforestiers à haute productivité qui ont la capacité de réduire la pauvreté et la déforestation de manière significative et de séquestrer du carbone à grande échelle ». D’après le GIEC, dans les 50 prochaines années de tels projets sont finançables par le marché du carbone. Ils ont un potentiel de réduction des gaz à effet de serre dans l’atmosphère égal à 50 milliards de tonnes de CO2.

Avantages socio-économiques

·         La vulnérabilité des cultures est réduite : on peut planter différentes espèces au sein d'une même parcelle, ce qui permet de ne pas perdre toute la production en cas de maladie ou d'évènements touchant une espèce particulière. Cela permet également d’étaler les époques de coupes (et donc les gains financiers).
·         La productivité des systèmes agroforestiers est généralement beaucoup plus compétitifs que les systèmes monoculturaux. La surface et l’absorption de l’énergie lumineuse sont optimisées et les intrants sont réduits.
·         Les arbres poussent plus vite car ils bénéficient à la fois d'engrais, d'irrigation et d'un éclairage optimal facilitant la photosynthèse.
·         L’agroforêt permet la sécurité alimentaire, sanitaire, l’approvisionnement en matériaux de construction ou d’artisanat, en énergie et garantit aux familles rurales une certaine autonomie.
·         Les projets d’agroforesterie peuvent faire l’objet de crédits financiers dans le cadre de la compensation carbone.

Concernant la compensation carbone dans le cadre de zero-deforestation : la mise en place de systèmes d’agroforesterie sur les terres des Shiwiars et Zaparas[2] sera une garantie supplémentaire pour assurer la permanence du stockage de Carbone dans les forêts concernées par la restitution. En effet, les revenus tirés de cette forme de culture contre-balanceraient les avantages financiers potentiels d’une déforestation.

Il est à noter que, pour bien fonctionner, l’agroforesterie nécessite un bon discernement des interactions écologiques sur chaque écosystème.
En savoir +  :fiches d’expériences pour l’échange et la diffusion des expériences
agroforestières. www.rebraf.org.br.


[1] Il existe également des forêts supports pour le sylvopastoralisme, l’aquaforesterie, l’entomoforesterie.

[2] A noter que les Shiwiars et Zaparas pratiquent déjà une forme d’agroforesterie. Cf. Les lances du crépuscule, de Philippe Descola, Plon.

L'après-développement version indigène. Revue S!lence, 2007

 

Par Sabine Rabourdin, auteur de Les sociétés traditionnelles au secours des sociétés modernes, Delachaux et Niestlé, 2005.
Publié dans la Revue Silence



Près de 6000 cultures non occidentales existent encore en ce début de millénaire, représentées parfois par quelques individus et parfois par plusieurs centaines de milliers. L’indigénisme est à la mode. De la Bolivie au Chiapas, en passant par le cinéma, ils sont de plus en plus nombreux, à faire entendre leur voix.

Ce n’est pas qu’un effet de mode. C’est un effet d’enjeux. Les enjeux de l’accroissement des inégalités, ceux du dérèglement climatique et des tensions sur les ressources ou l’espace agricole et viable. Tous ces enjeux appellent des solutions, et certaines d’entre elles semblent se trouver à la source. A la source de ce qui lie l’Homme à la Terre.

Dans la quête d’un après-développement, il semblerait donc que les peuples indigènes aient quelque chose à nous proposer. Le développement a été une quête de sociétés modernes, qui a orbité autour de quelques valeurs phares : le cartésianisme, la croissance, l’économie de marché, la technologie à échelle industrielle. L'après développement se pose donc en rupture ou, du moins, en dépassement de ces valeurs. Dans ce cas, n’est-il pas évident que les peuples traditionnels offrent en effet, quelque intéressante option ?

Il ne s’agit pourtant de dire que ces peuples présentent un idéal à tous les niveaux. Il s’agit ici, mais c’est déjà beaucoup, de s’inspirer de la manière dont l’homme s’intègre dans l’écosystème Terre. 

                        La société en lien direct avec son écosystème

Au fil de l’histoire des civilisations, les ressources ont fait l’objet de toutes les attentions. Là où elles étaient facilement accessibles, s’installaient des populations qui devaient se battre pour garder leur place. Dans cette lutte pour la ressource, certaines sociétés ont été absorbées dans les sociétés colonisatrices et d’autres se sont retranchées en des lieux moins convoités, où les ressources étaient moins abondantes. Les sociétés traditionnelles vivent aujourd’hui dans ces lieux hostiles ou, du moins, en des lieux où les ressources ne sont pas aussi facilement accessibles qu’ailleurs.
Citons des exemples : le Ladakh, région septentrionale de l’Inde Himalayenne, semble inhabitable : l’aridité côtoie l’altitude, et les rares villages qui y ont pourtant élu domicile apparaissent comme une gageure. Ailleurs, les bushmen du désert du Kalahari, ou encore les Inuits de l’Arctique nous font l’effet de miraculés. Et pourtant, ils vivent bien en ces lieux.

Ce qui est troublant et à la fois admirable, dans ces peuples de l’extrême, c’est que leurs erreurs de comportements envers la nature sont directement sanctionnées par l’hostilité du milieu et la rareté des ressources. Ces sociétés se donc sont organisées (règles, régulations) en relation avec leur milieu et en fonction de la ressource. Elles ont ainsi pu préservé un équilibre dans lequel elles se sont insérées et qui leur a permis de perdurer. Les hommes et les femmes qui vivent au Ladakh ont ainsi posé des contraintes sociales à leur développement ce qui permet de préserver la fertilité des terres. Au moindre écart, c’est le village entier qui se trouve menacé.
Ceux qui vivent dans des sociétés de consommation, c'est-à-dire des sociétés où l’excès de consommation n’est pas sanctionné mais au contraire valorisé, l’équilibre avec l’écosystème est disloqué. Dans ces sociétés, le retour de bâton n’est pas direct quand elles épuisent l’écosystème. Car, ce qui les caractérise est l’absence de lien direct avec l’écosystème. Elles se nourrissent et recrachent dans la marmite du voisin (typiquement, les pays du Sud), et c’est celui-ci qui se récupère le coup de bâton quand les ressources locales arrivent à épuisement ou que la terre (la marmite) est polluée. Les sociétés de consommation changent alors simplement de marmite.
Le dérèglement climatique est une aberration exacerbée du système des sociétés modernes, dont les conséquences de comportement inadapté se ressentent en décalé. Car, à quoi est dû ce dérèglement ? Sinon à la production en excès de gaz à effet de serre par rapport à ce que la Terre peut recycler ?
La Terre nous offre une marge de manœuvre dans la recherche de l’équilibre, un équilibre dynamique. Elle absorbe nos dépassements et compense nos manquements, dans une certaine mesure. A nous d’évaluer cette mesure et la manière dont nous pouvons y épanouir notre liberté. Est-ce en employant des ingénieurs en déchets et dépollution ? Est-ce en envoyant nos gaz à effet de serre dans les profondeurs des océans sans garantie qu’ils y restent ? Est-ce en puisant aveuglement dans les ressources jusqu’à ce que la marmite soit vide ?

Il faudrait se baser sur la même relation que celle qui anime les peuples traditionnels : pour évaluer nos ressources disponibles et notre impact polluant, il nous faut faire comme si l’on ne pouvait se nourrir que de notre territoire. Il faut établir une relation directe entre la société et son écosystème, c'est-à-dire le territoire sur lequel elle vit mais aussi la biosphère dans son entier. Et limiter notre pollution à ce que la nature peut absorber, et nos consommations à ce qu’elle peut renouveler. La décroissance aspire à cela, les peuples indigènes le vivent. En ceci ils ont beaucoup à échanger dans une « nouvelle vision du développement » ou du « développement durable ».
Et à ce titre, « développement » est un mot à éradiquer. Des peuples indigènes proposent [1] « environnement et humanités durables », car ce n’est pas le développement qui doit être durable, mais l’humanité et l’environnement.
 

                        L’homme, élément d’équilibre

Les sociétés qui ont entretenu un lien privilégié avec un territoire, qu’on nomme indigènes ou traditionnelles, ont certainement, plus que d’autres (collectivement parlant) compris le lien d’interdépendance qui les unit à la Terre.
Avant de penser une nouvelle forme de développement auprès des pays du Sud, il est essentiel de revenir à la compréhension de ces racines.
Si les peuples traditionnels ont essayé de modérer leur empreinte sur la Terre, ils ont aussi tenté de s’unir à elle, dans une relation où l’homme n’est plus « hors » de la nature, mais en fait partie.
Faire partie ? Qu’est-ce que cela peut signifier ? Prenons l’exemple des Achuar, des chasseurs-cueilleurs d’Amazonie[2], qui ne font pas de distinction antinomique entre deux mondes opposés : le monde culturel de la société humaine et le monde naturel de la société animale, végétale et minérale. Pour eux, l’homme a un droit de vie au même titre que n’importe quel autre entité dans l’univers. De ce droit découle un devoir, un devoir d’intégration.

Difficile de décrire à un occidental ce que « en faire partie », « intégration » ou même « entrer en relation avec la nature » peut signifier, car l’occidental est élevé dans la tradition cartésienne et rationnelle qui catégorise au maximum et qui, par ce biais, crée des frontières dans les concepts autant que dans les sentiments. Et qui a tendance à oublier qu’une molécule qui pénètre une cellule, c’est un échange d’informations. L’interdépendance est omniprésente sur Terre. Et l’échange permanent.

Dans la relation avec les peuples traditionnels, on ne peut d’ailleurs pas s’extraire de concepts spirituels, car ceux-ci sont fondateurs. Par exemple, écoutons ce décret, précurseur en la matière, proposé par le cinquième Dalaï-lama, réglementant la protection de l’environnement dès 1642 :
 « L’environnement intérieur est la symbiose entre les esprits, la vie des hommes, et la nature qui les entoure. »

Dans la mythologie Touareg l’homme noue un pacte sacré qui le lie à la terre par une promesse de sauvegarde réciproque en cas de non respect de cet équilibre protecteur, la sauvegarde est remplacée par la menace.

La recherche d’harmonie avec la nature n’est pas le simple désir de durer, cela va au-delà, car ce qui est en jeu n’est pas seulement l’existence individuelle sur Terre mais l’existence de leur société, de l’humanité, de la Vie et de l’Etre.

Là se trouve peut-être l’essentiel : rechercher l’équilibre et l’entretenir.

Ainsi, tel un boomerang, la nature est perçue par les Aborigènes d’Australie comme une entité à rétroaction, toute blessure que vous lui infligez vous revient dessus tôt ou tard :
«  Quand vous détruisez un site, vous créez une ride qui va tout sillonner dans le cosmos comme la jarre de billes. Cela détruit l’équilibre et ce déséquilibre entraîne le chaos, la maladie et les mort des gens et de la nature » [3]
Le Rêve des Aborigènes australiens, c’est ce qui relie toute chose, homme, animal, plante ou matière, au Bugarrigarra où il est né, où il retourne quand son corps s’éteint.
Quand une compagnie étrangère veut creuser une colline pour y chercher des diamants, les Aborigènes d’Australie ne s’y opposent pas en disant qu’il y a un risque d’érosion mais parce que cela va « briser la chaîne du rêve ».
Cet équilibre écologique traverse tous les plans de la pensée indigène. Il ne doit pas être perçu comme statique, c’est un état dynamique fait d’échanges continuels au niveau de tous les éléments naturels.
« Vous ne pouvez aimer le gibier et détester les prédateurs ; vous ne pouvez protéger les eaux et détruire les montagnes ; vous ne pouvez entretenir la forêt et saboter la ferme. »[4]
L’homme, fondamentalement, participe de cet équilibre. C’est sans doute le plus grand oubli de l’occident. Et tant que cet oubli ne sera pas retrouvé, l’échange Nord/Sud restera stérile et le développement ne pourra jamais se métamorphoser en « environnement et humanités durables ».

                        Diversifier au lieu d’uniformiser

Diversifier la production mais éviter la surproduction


L’ère commerciale actuelle exploite sans merci les quelques produits qui, pour le moment, procurent un avantage financier. Elle dédaigne et détruit souvent tout le reste. Cette attitude conduit à une homogénéisation croissante, la rentabilité étant construite sur le mode de la réduction des coûts à grande échelle. D’où les chaînes de production industrielles, d’où la production agricole monospécifique intensive.

Le rapport à la production et aux besoins matériels procède d’une conception du monde différente chez les sociétés.

Le mode d’échange traditionnel, intrinsèquement adapté aux besoins et hostile au surplus, est une des clés de l’équilibre entre l’homme et la nature. Parce que ces peuples sont en premier lieu orientés vers l’autosuffisance et seulement en second lieu vers la production d’un surplus pour le commerce, leurs économies et leurs techniques traditionnelles sont appropriées à la préservation des ressources.
On a remarqué que la rareté de certaines ressources concentrées (et donc défendables) favorise l'émergence de compétition agressive entre les individus d'une société. De même que l’abondance de ressource limite les tensions, mais ne les empêche pas.
Seule la rareté de l’ensemble des ressources (ou la vision d’une rareté ou du caractère limité et précieux de la ressource) crée l’entraide.
C’est peut être ce qui explique l’entraide si spectaculaire des peuples indigènes. Chez les Yanomamis d’Amazonie, comme dans de nombreuses autres sociétés traditionnelles, offrir est une vertu, posséder n’est pas une richesse. La manière de se répartir le butin exprime la solidarité qui lie les Indiens entre eux. Car le milieu de la forêt tropicale n’est pas si prodigue qu’il y parait.

Chez les Bochimans,

« Chacun prend où il le trouve ce dont il a besoin, mais ne prend  rien de plus. C'est à cette condition que la nature reconstitue le fond commun. » [5] 

Ce qui sera sûrement difficile à apprécier par un homme moderne, c’est le revers de cette entraide, c'est-à-dire l’absence de valorisation de l’individu et sa soumission au bien-être de la communauté dans son ensemble. L’individu n’est rien, la communauté est tout. C’est peut-être ce qui explique l’absence de recherche de profit et l’incompatibilité majeure entre notre désir de croissance économique et leur absence de surproduction. Marshall Sahlins a montré que si ces sociétés ne rentabilisent pas leur économie, c’est  parce que le profit ne les intéresse pas :

« [Les indigènes de ces sociétés] s’enorgueillissent de leur aptitude à évaluer leurs besoins et à produire juste assez de taro pour les satisfaire. »[6]

Les systèmes d’organisation de l’espace et de la production sont souvent fondés sur des échanges complexes entre communautés qui permettent d’optimiser la satisfaction des besoins. Ils sont ainsi faits qu’ils permettent d’éviter la production de surplus et le gaspillage (entraide-sociale, multiplicité des ressources).

Reichel Dolmatoff explique ainsi que les indiens Tukanos de Colombie ne se soucient guère de maximiser les gains à court terme ni de se procurer plus de nourritures ou de matières premières qu’il n’est nécessaire. « En revanche, ils s’emploient continuellement à mieux connaître ce que le monde physique requiert de l’homme. Ce savoir, estiment-ils, est essentiel à la survie car l’homme doit se mettre en adéquation avec la nature pour participer à son tour et ajuster ses besoins à ce qu’elle lui offre. »[7]

Les sociétés traditionnelles, dans leur production de biens, ont des priorités autrement différentes que la simple rentabilité immédiate, et notamment la recherche d’une plus grande durabilité. L’exploitation intensive des sols est peut être rentable à court terme mais elle épuise vite les sols et les rend dépendants d’un apport artificiel d’intrants.

Epanouir les potentialités des territoires


Une multiple utilisation d’une même terre peut aider à minimiser la ponction sur le milieu. C’est une attitude que l’on retrouve chez beaucoup de peuples indigènes, qui généralement combinent multi-usages et multi-acteurs sur un même lieu. En Extrême Orient, des systèmes de production associant l’agriculture et l’aquaculture  obtiennent des rendements parfois remarquables. Ceci limite le besoin de surface agricole : de telles productions, comme les mares d’argile des paysans Tonkinois, se font souvent sur des surfaces qu’on qualifierait de nos jours, vu l’aspect de nos exploitations, de lilliputiennes. L’intelligence de ce mode de production est d’intégrer plusieurs systèmes les uns aux autres : les excréments des lapins tombent dans une mare à poissons et à canards et la fertilisent ; celle-ci s’écoule dans des rizières et des potagers, dont les déchets agricoles nourrissent en retour les lapins, qui nourrissent les hommes (et les déchets des hommes retournent à la terre) ! Dans d’autres cas, deux rizières, tantôt  remplies, tantôt vidées, font alterner riz et poisson, canard et fruits de mer, etc.

Les sociétés traditionnelles misent sur la diversité et le multi-usage. Les paysans andins cultivent une partie de leurs terres en haute altitude, là où pourtant les rendements sont médiocres, ceci afin d’améliorer leur sécurité : en cas d’attaque parasitaire sur leurs champs de basse altitude, ils disposeront en effet toujours d’anciennes semences.

La polyculture favorise une microflore et une microfaune indispensables aux processus de décomposition, et donc à la fertilité du sol, souvent amoindrie par les pratiques exclusives et intensives. Elle permet ainsi souvent d’éviter le recours aux apports artificiels (engrais, pesticides,…). Cultivées ensembles, ces plantes s’entraident : l’une fixant l’azote, une autre aérant le sol avec ses racines, une autre procurant une protection parasitaire et permettent de mieux lutter contre la contamination des maladies. Sur les parcelles cultivées d’Amazonie, les plantations en polyculture où sont mélangées les plantes de hauteur différentes protègent le sol des effets destructeurs du climat, imitant les différentes strates arborescentes de la forêt. La complémentarité des espèces fait écho à la vision globale de l’écosystème comme un ensemble complémentaire, dont l’homme n’est pas exclu.

L’agroforesterie pratiquée en Asie du sud représente l’une des pratiques les plus évidentes de gestion durable des forêts. Le paysan  tropical n’a jamais de lui-même, profondément séparé l’agriculture de la forêt, ni la forêt de l’élevage. La grande diversité de ces systèmes réduit les risques de mauvaises récoltes. La stratégie consiste à planter dans les champs des espèces utiles (médecines, nourriture…) qui pousseront dans la forêt lors de la mise en jachère des terres. Le champ devient la forêt…la forêt le champ… L’homme modifie la forêt à son usage, tout en augmentant la biodiversité présente. Un système d’agriculture itinérante sur brûlis à Bornéo par exemple, favorise la régénération forestière tant que les temps de mise en jachère sont suffisants. Mais s’il y a réduction des terres par des pressions extérieures (exploitants forestiers par exemple), le système peut devenir destructeur. On revient à cette notion indispensable d’équilibre dynamique.


Les sociétés traditionnelles font donc preuve de beaucoup d’art et de maîtrise dans la gestion des terres, et si cette façon de voir l’enchaînement de la matière et de l’organiser s’enrichissait des nouvelles connaissances de l’Occident, il y a de fortes raisons de croire qu’on assisterait à un réel progrès…

Penser local, penser dans la continuité

Ce qui différencie la société traditionnelle du monde moderne, c’est surtout le soucis de transmission des savoirs, de génération en génération, le lien de continuité et le culte des ancêtres. Ce qui n’empêche pas l’innovation mais au contraire la favorise. Riches de l’expérience du passé, et forts de la capacité d’adaptation aux variations et aux contraintes du milieu naturel,  il se crée une grande flexibilité.

L’habitude traditionnelle de recourir essentiellement aux ressources locales (40km est une bonne distance) est peut-être né d’une contrainte. Mais elle peut renaître d’un choix pensé, comme le concept moderne de « biorégionalisme » le suggère. En pensant local, on réduit les « délocalisations » et les pollutions liées au transport.

De même, une société durable nécessiterait des technologies appropriées. D'après l’Appropriate Technology Sourcebook[8] , les technologies appropriées sont des technologies qui requièrent peu de capital, utilisent les matériaux disponibles localement, demandent peu de main d'oeuvre, sont accessibles aux groupes familiaux ou communautaires, peuvent être comprises, contrôlées et entretenues par des personnes locales sans haute formation spécifique, peuvent être réalisées dans des villages ou petits ateliers, peuvent être adaptées à différents lieux en différentes circonstances et sont utilisées sans dommage pour l'environnement.

Le respect de l’environnement est donc un critère d’une technique appropriée. Pour certains Indiens d’Amazonie, nous explique Jean-Patrick Costa,

« la recherche d’équilibre explique pourquoi la tradition indienne est incapable de concevoir un développement technique qui se ferait au détriment du milieu naturel, ou même une action individuelle excluant la prise en compte d’éventuelles conséquences sur l’environnement. »[9]

La recherche d’équilibre avec le milieu, que l’on retrouve dans les sociétés indiennes mais aussi dans beaucoup de sociétés traditionnelles va ainsi jusqu’à orienter nettement leurs choix technologiques.

Quelque en soit la réponse, il ne s’agit pas de dire qu’il faut remplacer les techniques modernes par des techniques traditionnelles, mais qu’il faut s’inspirer de cette attitude qui consiste à placer l’équilibre avec le milieu comme critère de choix pour le développement (si tant est qu’il soit voulu).
L'impossibilité et les limites philosophiques d'une hypothétique solution technique trouvent peut-être une issue dans l'intérêt à porter aux pratiques soucieuse du local des peuples traditionnels.


                        De nouvelles valeurs

Si le colonialisme puis le libéralisme ont été vecteurs de l’utopie de la croissance, qu’est-ce qui sera vecteur de ce que certains appellent la décroissance ou simplicité volontaire, réclamée par les actuels enjeux planétaires ?
Les nouvelles valeurs doivent sûrement tourner autour des notions d’équilibre, de diversité et de complémentarité, dans la prise de conscience que nous dépendons de ce qui nous entoure tout comme nous sommes en constant échange avec cet environnement, humain ou non humain.

Le vecteur ne doit plus seulement se décliner du Nord vers le Sud sur la question de l’après-développement, mais du Sud vers le Nord également. C’est alors supposer que nous soyons aptes à écouter ce qui vient de là et à échanger. C’est supposer que notre système de pensée et de valeurs puissent évoluer.

C’est aussi supposer que nous soyons ouverts à ces nouvelles valeurs : « équilibre » contre « croissance », « diversité » contre « uniformité » de la mondialisation.














[1] « Peuples Indigènes : Humanité et environnement durables » : un film sur Identité, Spiritualité, Culture et Droits des Peuples Autochtones, face au Développement Durable.
Un film documentaire de 45’, témoignage des propositions des Peuples Indigènes au Sommet
Mondial du Développement Durable - Johannesbourg- 2002

[2]Philippe Descola, La nature domestique. Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1986.
[3] Wayne Barker, Termites blancs et fourmis vertes, Ethnies, 1999, vol 13 n°24-25, pp 195-211
[4] Centre-Nord de la Californie : Le peuple Wintu
[5] Extrait de NAMIBIA, Africa's Harsh Paradise, par A. Bannister et P. Johnson, interprété de l'anglais par Bob Dangerfield
[6] Marshall Sahlins, Age de pierre, Age d’abondance, 1976, resp p 51 et p 111.
[7]  Gerardo Reichel-Dolmatoff, The Kogi Indians and the environment Impending disaster, The Ecologist, vol 13, n°1, janvier-février 1983.
[8] Ken Darrow and Mike Saxenian, Appropriate Technology Sourcebook, Village Earth
The Consortium for Sustainable Village-Based Development.
[9] Jean-Patrick Costa, L’homme-Nature, La pensée écologique, Paris, 2000, p 24.

Alimentation et changement climatique

Article
Par Sabine Rabourdin, publié dans Biocontact en 2006

La question de l’alimentation est au cœur des enjeux des changements climatiques, de par sa responsabilité, mais aussi par les impacts à venir.

Le climat a toujours fluctué. Ce qui est nouveau, c’est l’extrême rapidité et l’ampleur du changement qui est en train de se produire. Depuis l’avènement de l’ère industrielle, il y a 200 ans et le début de notre course à la surproduction, nous avons modifié l’effet de serre, grand régulateur de la température sur Terre. En effet, nous avons progressivement accentué la quantité dans l’atmosphère de certains des gaz à effet de serre – GES) – (CO2, CH4 et N2O) et introduit de nouveaux GES, dits artificiels (CFC, HCFC, SF6…). Les émissions de ces gaz sont en majorité issues de l’exploitation de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), utilisés pour les transports, le chauffage, l’industrie mais ils proviennent aussi de l’agriculture ou des déchets.
Le secteur de l’alimentation est source d’émissions de GES. Cela peut surprendre, car ces émissions sont invisibles à l’œil humain, mais le secteur agricole contribue déjà pour près d’un quart aux émissions de GES de la France en tonnes équivalet Carbone (teq) de CO2. Le secteur de l’alimentation n’est pas comptabilisé en tant que tel, mais il regroupe l’agriculture, une part du secteur des transports et celui de l’industrie. Et il faudrait lui ajouter une bonne part du secteur des déchets et celui de l’énergie !
D’où viennent les gaz à effet de serre ?
- Les sols cultivés reçoivent plus d’azote que de besoin : fumier, engrais, épandage, retombées atmosphériques… l’azote non utilisé par les plantes ruisselle et se volatilise en partie sous forme de N2O.
- Le méthane émane des gaz digestifs des mammifères, et en particulier des éructations des ruminants. Inhérent à toute décomposition de matière organique, il provient également de la décomposition des déjections animales et des déchets végétaux. Les émissions de méthane du bétail représentent 20 % des émissions annuelles mondiales de ce GES, au pouvoir de réchauffement 23 fois plus élevé que le CO2. Une seule vache laitière produit environ 75 kg de méthane par année, l’équivalent de 1,5 t de CO!
- L’agriculture et la pêche consomment des combustibles fossiles : pétrole pour les machines, gaz pour le chauffage des serres ou des étables, électricité, etc. Cela émet du CO2.
- Les industries productrices d’engrais et de produits phytosanitaires sont grandes consommatrices de pétrole et donc émettrices de GES.
- Enfin, l’industrie alimentaire est également source de CO2 : énergie issue de la transformation des aliments, de leur conservation et de leur transport.
Quels risques agricoles et alimentaires ?
Les scientifiques du Groupe d’experts internationaux sur l’étude du climat (1) (Giec) tentent de prévoir les modifications climatiques en fonction des différents scénarios de réduction des émissions mis en place par les sociétés.
Depuis le début de la révolution industrielle, la température moyenne sur Terre a augmenté de 1°C (2) et la plupart des estimations, font état pour 2100 d’une température moyenne à la surface du globe comprise entre 1,1°C et 6,4°C. A titre de comparaison, une amplitude de 4°C est comparable à celle qui a fait basculer il y a 14 000 ans le climat du dernier âge glaciaire au climat tempéré que nous connaissons aujourd’hui.
Le réchauffement ne sera pas uniforme et devrait s’avérer moindre dans l’hémisphère Sud que dans le Nord. Or, les pays de l’hémisphère Sud sont plus sensibles au réchauffement, car ils connaissent déjà des épisodes de sécheresse récurrents.
L’intensité du dérèglement sera aussi fonction des influences climatiques locales. Paradoxalement, certaines régions devraient subir également un refroidissement (joint au réchauffement global), comme une partie de la France, avec la déviation vers le sud du Gulf Stream.
Les conséquences sur l’alimentation
Effets de la montée des eaux
La fonte des glaciers et la dilatation par réchauffement des océans devraient entraîner une élévation du niveau de la mer d’environ 50 cm au cours de ce siècle, ce qui provoquerait la salinisation des nappes phréatiques situées en bord de mer, rendant incultivables certaines îles et zones côtières (une partie de la côte chinoise, par exemple). A mesure que la concentration des sels dissous augmente, la capacité des racines d’absorber à la fois l’eau et les éléments nutritifs diminue. Par exemple, une salinité modérée à élevée peut réduire d’au moins 50 % le rendement de la plupart des céréales et des oléagineux. La toxicité peut être attribuable au bore, au sodium ou au chlorure. Ce problème est déjà constaté dans beaucoup de régions (Floride par exemple) où les coûts de production agricole augmentent, ayant pour résultat une hausse des prix des denrées alimentaires.

Effets de l’augmentation des températures
- Risques sur les espèces animales et végétales : la lenteur des évolutions naturelles du climat a permis aux espèces végétales et animales de s’adapter et de migrer. Aujourd’hui, se produisant 50 à 100 fois plus rapidement, ces changements déplacent les équilibres climatiques et écologiques. De nombreuses espèces élevées ou cultivées sur des territoires ne seront plus adaptées en ces lieux. Les écosystèmes terrestres et marins subiront de profondes modifications de leur composition et de leur répartition. Or les capacités d’adaptation des écosystèmes sont environ 0,1°C par décennie soit 1°C sur l’ensemble du XXIe siècle, chiffre qu’il ne faudrait pas dépasser…
- L’augmentation de la température dans les régions les plus froides devrait augmenter les rendements et favoriser de nouvelles cultures à ces endroits-là. Par exemple, une augmentation de la température de 1,5°C d’ici 2050 en Grande-Bretagne, sans variation des précipitations, permettrait une culture répandue du maïs ou de la vigne dans le sud de l’Angleterre. De même, le réchauffementdurant la période froide, dans les régions les plus fraîches, pourrait réduire les besoins en alimentation du bétail, réduire sa mortalité et ses besoins en énergie. Ce sera par contre l’inverse dans les régions chaudes, où l’augmentation des températures, déjà élevées, fragilisera le bétail et diminuera les rendements des cultures.
- Une hausse de la température causera aussi une prolifération des parasites, qui survivront à l’hiver et pourront alors accomplir davantage de cycles reproductifs. La pyrale du maïs, par exemple, pourrait se décaler jusqu’à 500 kilomètres vers le nord, pour une élévation de 1°C.

Même s’il devrait pleuvoir globalement plus sur la planète, la disparité de ces précipitations ne sera pas à l’avantage de l’agriculture : amplification dans les régions déjà pluvieuses et diminution dans les régions désertiques (autour des tropiques et en Méditerranée notamment). L’accroissement de l’effet de serre devrait augmenter le rayonnement net à la surface du globe et ainsi favoriser l’évaporation, qui ne serait que partiellement compensée par l’augmentation des précipitations. Les sols seront donc plus secs et les sécheresses plus nombreuses.
Le raccourcissement et l’irrégularité des périodes propices à la croissance des plantes fragiliseront les agricultures du monde, ce qui pourrait contribuer à une pénurie alimentaire à l’échelle mondiale, en particulier si la démographie continue de croître au rythme actuel.
Effets des cataclysmes
Les tempêtes et les inondations, plus importantes, rendront difficilement cultivables certaines îles et zones côtières (une partie de la côte chinoise, par exemple).

Effets de la hausse de CO2 dans l’atmosphère
Les plantes croissent en raison de la photosynthèse dont la cadence serait stimulée par des taux plus élevés de dioxyde de carbone. Ainsi, la cadence de croissance et la productivité des plantes pourraient augmenter pendant un temps, en particulier pour les cultures développées dans des régions fraîches et tempérées (blé, riz, soja) mais moins pour les cultures des régions tropicales (sorgho, maïs, canne à sucre) (3). Cependant, une hausse du taux de CO2, accompagnée d’une augmentation importante de la température et d’une augmentation modérée des pluies, raccourcira la période de croissance, et à terme entraînera une baisse de la production.

Ainsi, il ne faut pas prendre en compte la variation d’un unique paramètre, mais faire intervenir les interactions qui peuvent exister entre toutes les composantes de variation du climat.
Face au changement climatique, ce qui sera le plus notable sera les disparités entre le Nord et le Sud, le Nord bénéficiant de meilleures conditions climatiques propres à l’agriculture et donc de meilleurs rendements (environ + 10 % au Nord contre -5 % au Sud d’ici 30 ans). Les effets positifs au Nord pourront compenser en partie les effets négatifs au Sud de manière globale, mais ceci ne présage pas des effets sociaux d’une telle disparité, qui seront l’enjeu majeur.
D’autres pratiques agricoles
Selon le Giec, une réduction immédiate par 4 des émissions de GES est nécessaire si l’on veut les stabiliser à leur niveau actuel et ne pas dépasser 2°C d’augmentation. d’ici 2100. )
Au niveau de l’alimentation, les mesures à prendre sont nombreuses et potentiellement très efficaces :

Modification des terres (pas compris cet intertitre. pourquoi ne pas le Juste au dessus, c’est plutôt une intro à ce qui suit
La végétation, tout comme les humains, absorbe et rejette en permanence du CO2 pour croître, Ainsi, toute activité ayant une incidence sur le volume de a biomasse présente dans la végétation et dans le sol a un impact sur le climat. Si, pendant les cinquante années à venir, les terres agricoles et les forêts étaient gérées durablement – c’est-à-dire de manière à en renouveler les ressources –, elles pourraient encore fixer sur l’ensemble de cette période un quart des émissions probables d’origine humaine sur la même période (4).

Il existe de multiples manières de favoriser le phénomène naturel de stockage du carbone par les sols agricoles :
- développer les pratiques d’agroforesterie sur des terres agricoles : boiser par endroits les terres cultivées, planter des haies (avec d’ailleurs d’autres avantages comme la lutte contre l’érosion, le captage des nitrates, les corridors écologiques, etc.) ;
- enherber le sol des vignes et des vergers ;
- choisir certains types de culture (espèces adaptées aux nouvelles conditions climatiques) et privilégier celles produisant le plus de biomasse, sans tomber dans l’excès des cultures intensives ;
--préserver la fertilité des sols forestiers.

Plus les quantités d’azote apportées dépassent les besoins réels de la plante, plus les émissions de N2O sont importantes. Pour les réduire, il est donc essentiel d’évaluer au plus près les besoins des cultures. Il faudrait aussi utiliser au maximum les déjections d’élevage comme engrais, valorisant ainsi des matières qui auraient sans cela de toute façon conduit à des émissions de N2O. De nombreuses cultures peuvent par ailleurs se passer d’intrants azotés, car elles auraient la capacité de s’approvisionner seules en azote atmosphérique pour peu qu’elles soient associées à certaines légumineuses qui ont la faculté de fixer cet azote (le trèfle blanc, par exemple).
La pratique du compostage limite également la production de N2O car il fournit un engrais « naturel ».


Déchets agricoles
Le méthane issu des déjections animales et des déchets végétaux permet la production d’énergie et la récupération du résidu de la fermentation comme compost… Si l’essentiel des déjections stockées était méthanisé, le biogaz récupéré permettrait de couvrir les besoins énergétiques du secteur agricole (5).

Les avantages des agrocarburants sont manifestes pour le climat. Toutefois, les végétaux utilisés pour les agrocarburants doivent, sous peine de voir leur bénéfice planétaire annulé, être cultivés dans une approche d’agriculture durable et ne pas faire concurrence à l’alimentation.
Les déchets agricoles sont une bonne solution : leur quantité est colossale et ils peuvent être transformés pour produire du carburant par gazéification ou méthanisation.

Ecoresponsabilité
La maîtrise des consommations énergétiques des engins agricoles peut s’appuyer sur la diminution de la fréquence des labours, et sur des engins et des bâtiments plus économes en énergie. La consommation d’eau est source d’émission (acheminement, traitement). Il devrait être possible d’éviter les arrosages perdus en pleinechaleur. La généralisation de la récupération des eaux usées permettrait aussi des réductions d’émissions.

Adapter l’agriculture
Les restrictions éventuelles de disponibilité en eau vont probablement rendre nécessaire l’emploi de nouvelles techniques d’irrigation. Les exploitations devront s’orienter vers une moindre spécialisation pour avoir davantage de liberté d’adaptation, et notamment parce que certaines espèces ne seront plus cultivables selon les régions.

Consommer différemment
Moins de viande !
La consommation de viande en Europe a plus que doublé depuis 1960. Et les autres pays se mettent à suivre ce modèle.
Or la production d’une calorie de steak d’élevage intensif nécessite environ 10 fois plus d’énergie qu’une calorie de céréale. De plus, les animaux d’élevage, et en particulier ovins et bovins, émettent une forte quantité de méthane.
On pourra donc éviter de consommer de la viande à chaque repas et donner plus de place aux légumineuses (lentilles, pois) et céréales. La combinaison de ces deux types d’aliments remplace d’ailleurs les protéines de la viande.
Si nous mangions moins de viande (et de produits laitiers), nos élevages européens pourraient redevenir extensifs et le bétail pourrait se délecter d’herbes de pâturage de nos montagnes et marais au lieu d’un soja cultivé sur les cendres de la forêt amazonienne, à l’autre bout de la planète.


Limiter l’« operculophilie » (un peu abscons, trouver une autre formule, j’aime bien pourtant !), le suremballage, c’est minimiser les émissions de GES qui leur sont associées au niveau des déchets, mais aussi des transports et de l’énergie produite pour les fabriquer.
Choisir des contenants moins énergivores et recyclables : recycler une canette économise 75 % de l’énergie nécessaire à la fabriquer.

Local, de saison et bio
Les produits biologiques ont un impact moindre sur le climat (moins de N2O). Les produits locaux et de saison réduisent le recours à la consommation d’énergie des serres et au transport. Par exemple, une tomate cultivée hors sol en hiver est dopée avec 100 fois plus d’énergie qu’elle n’en contient.
Il vaut mieux privilégier les achats de proximité, la vente directe (très peu de transport) et les circuits courts. Par exemple, un camion qui transporte 9 tonnes de fraises, de Madrid à Nîmes, émet 100 g / t / km, soit 9 x 1 000 km x 100 = 900 kg de CO2.
Un yaourt aux fraises totalise pour le transport de son pot et de son contenu 3 500 km, et 4 500 km pour les fournitures ! Comme alternative : la production in situ de yaourt ou de kéfir qui ne consomme pas d’autre énergie que celle du radiateur ou du frigo…

Du combustible fossile est utilisé pour déshydrater le jus d’orange… Rien que le transport du concentré de jus d’orange destiné au seul marché allemand consomme ainsi 40 millions de litres de carburants et émet plus de 100 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
La solution est de favoriser la production de jus de fruits ou sirops locaux.
Perspectives
L’alimentation face au changement climatique sera le résultat des adaptations du monde agroalimentaire, de la mise en place d’une agriculture plus locale, plus écologique et plus flexible. Concilier les enjeux environnementaux nécessitera de ce fait une implication des consommateurs. Ils devront peut-être en contrepartie payer les produits plus chers et revoir leur modèle alimentaire.

Sabine Rabourdin.
Ingénieureet écrivain scientifique, elle a travaillé sur les liens entre les changements climatiques et l’énergie, la biodiversité ou l’éducation.

LIVRE DE L’AUTEUR
- « Changement climatique – comprendre et agir », éd Delachaux et Niestlé, 2005 (réédition septembre 2008), un guide des causes, des objectifs et surtout des solutions applicables face au changement climatique, à chaque niveau de la société.

Pour approfondir
Réseau Action Climat France : www.rac-f.org

1. Le Giec – en anglais, IPCC : Intergovernmental Panel on Climate Change – est l’organisme mondial officiel d’expertise scientifique, technique et socio-économique sur le climat. Il regroupe plus de 2 000 scientifiques. Leurs rapports d’évaluation sont consultables sur le site www.ipcc.ch.
2. Les scientifiques ont prouvé que la température et la concentration des principaux gaz à effet de serre ont suivi des évolutions parallèles.
3. (Source : www.cndp.fr/magsvt/espace/entretien.htm, Rencontre avec Gabriel Cornic).
4. Brown S., Sathaye J., Cannel M. et Kauppi P., « Management of Forest for Mitigation of Greenhouse Gas Emissions », in R.T. Watson MC. Zinyowera et R.H. Moss eds., Climate Change 1995. Report of working group II, Assessment report, IPCC, Cambridge Press, Royaume-Uni, 1996. Les calculs pour la forêt se fondent sur l’hypothèse qu’il existe aujourd’hui 345 millions d’hectares de terres adaptées aux activités de boisement / reboisement et d’agroforesterie, environ 0,76 Gt de carbone par an pourraient être fixées au cours des 50 prochaines années.
5. Christian Couturier, « Degré ou de force », Territoires, novembre 2003, p. 38.

Rapport Homme/Nature, d'où vient la rupture (video)

Une video à retrouver en ligne ici. Il s'agit d'une intervention lors d'un séminaire Rés’OGM Info : Rapport Homme-Nature : regards croisés. Réflexions sur notre relation à la nature en agriculture. Le samedi 5 nov 2011. 10-19h Grenoble

http://www.dailymotion.com/video/xmky8d_sabine-rabourdin_news

Le rapport de l’Homme à la Nature. D’où vient la rupture ?

Nos choix sont conditionnés par les multiples apports culturels qui nous fondent.
Regardons les incidences des représentations de la nature et en quoi cela nous conduit à nous éloigner de la terre et à vouloir la dominer.

Intervenante : Sabine Rabourdin, ingénieure et diplômée en ethnoécologie, auteur de Les sociétés traditionnelles au secours des sociétés modernes, Paris, Delachaux et Niestlé, 2005




Rés’OGM Info est une association qui s’est donnée depuis 2006, pour mission de sensibiliser sur les risques et enjeux liés aux Organismes Génétiquement Modifiés et sur l’agriculture durable, auprès de différents publics en Rhône-Alpes, via des conférences-débats, publications, productions et projections de films documentaires, interventions en lycées, formations de militants.

L’association a souhaité également élargir son champ de réflexion à des aspects socio-philo-anthropologique et pour ce faire, a organisé le samedi 5 novembre au Musée Dauphinois de Grenoble un temps de réflexion sur le rapport de l’homme à la nature.
Son objectif était de créer un espace de réflexion sur cette thématique pour ses membres et son réseau (naturalistes, paysans, consommateurs, militants écologistes).

Video de conférence : comment nous inspirer du rapport à la nature des peuples indigènes (Sabine Rabourdin)

Comment nous inspirer du rapport à la nature des peuples indigènes
Notre rapport à la nature est conditionné par notre culture. Des peuples – indigènes – sur terre ont, grâce à une vision de la nature, noué une autre relation, basée sur l’union, la coopération, l’équilibre, le respect, la mesure. Pistes pour que nous, Occidentaux, transformions notre rapport à la nature.
Intervenante :
Sabine Rabourdin, ingénieure et diplômée en ethnoécologie, auteur de Les sociétés traditionnelles au secours des sociétés modernes, Paris, Delachaux et Niestlé, 2005


http://www.popscreen.com/v/6Xb3e/Sabine-Rabourdin-Le-rapport-%C3%A0-la-nature-chez-les-peuples-indig%C3%A8nes



Rés’OGM Info est une association qui s’est donnée depuis 2006, pour mission de sensibiliser sur les risques et enjeux liés aux Organismes Génétiquement Modifiés et sur l’agriculture durable, auprès de différents publics en Rhône-Alpes, via des conférences-débats, publications, productions et projections de films documentaires, interventions en lycées, formations de militants.

L’association a souhaité également élargir son champ de réflexion à des aspects socio-philo-anthropologique et pour ce faire, a organisé le samedi 5 novembre au Musée Dauphinois de Grenoble un temps de réflexion sur le rapport de l’homme à la nature.
Son objectif était de créer un espace de réflexion sur cette thématique pour ses membres et son réseau (naturalistes, paysans, consommateurs, militants écologistes).

3/17/2016

Les rites maintiennent l'harmonie du cosmos - interview 2016

Une interview parue dans le magazine Almanach-Soldes n°4
http://www.almanach-soldes.net/

quelques extraits

1-      Y-a-t-il encore sur cette planète des modes de vie, des manières de penser, des spiritualités, bref des sociétés qui soient équilibrées, harmonieuses, durables et que l’Occident n’a pas détruit ?
D’une certaine manière, toute société est équilibrée –même si c’est un équilibre instable- tant qu’elle survie. Le déséquilibre, s’il est durable, entraîne sa chute ! Je dis cela dans l’objectif de faire réfléchir au mot « équilibré ». Le mot harmonieux me semble convenir davantage. Car l’harmonie, par analogie avec la musique, sous-entend une vibration concordante. Donc, une société harmonieuse serait une société qui chercherait à s’accorder à une sorte de vibration avec la nature (même si parfois, cela se traduit par des actes de destruction !). Et oui, ce genre de relations me paraît avoir existé et exister encore en certains endroits. Les Aborigènes d’Australie, par exemple, pour qui le « Rêve » ou « Bugarrigarra » est une sorte d’harmonie que l’on peut percevoir en sommeil ou en veille, à laquelle on se relie, et pour lequel tout déséquilibre, comme l’exploitation d’une montagne, crée une sorte de ride, de sillon. Percevoir cette harmonie, nécessite d’être à l’écoute et non pas en posture de domination. Il faut ouvrir tous ses sens. Les anciens Indiens (d’Inde) nommaient l’équilibre de la nature du nom de « rita », qui a donné en français « rite », « rituel ». Les rituels avaient pour vocation de faire perdurer l’harmonie du cosmos. Chez les peuples indigènes contemporains, qui ont conservé leurs traditions, comme il y en a à Bornéo ou en forêt amazonienne, l’harmonie nécessite de respecter des formes de « rituels » de chasses, de cueillettes, qui sont en fait aussi des règles de préservation de la ressource, et de connaissance, de respect des espèces. Est-ce que l’Occident détruit ces traditions ? Difficile à dire car la notion même d’Occident est suspecte. Disons que ces traditions deviennent marginalisées et parfois dévalorisées, et du coup, effectivement ont tendance à disparaître, avec les sociétés qui les portaient. Rappelons qu’il existait des traditions occidentales qui avaient la même vocation. Il n’y a pas si longtemps, en France, il existait de nombreux rituels de ce type, comme l’illustre par exemple « Le Pain », ouvrage d’Elie Reclus, regorgeant de récits de rituels agricoles. L’idée même d’harmonie dans la nature s’est éclipsée des modes de pensée modernes, et c’est sans doute sur cela qu’il faut se questionner.

3) Il y a sur cette planète des relations sociales et des spiritualités qui amènent des points de vue totalement différents des nôtres. Quels sont les systèmes de reconnaissance dans lesquels vous vous reconnaissez, que vous avez adoptés et qui vous éloignent du rationalisme occidental ?
Est-ce qu’à des cultures différentes correspondent des rationalités différentes, comme le crurent Lévy-Buhl ou Sahlins ?  Ou, au contraire, la rationalité est-elle une qualité humaine communément partagée ? Par exemple, Durkheim estimait qu’un indigène, non initié à l’inférence causale, ne pouvait pas penser selon les principes de la biologie ou de la physique. Les savoirs-faire quotidiens, de pêche, d’élevage, etc. se construisaient néanmoins sur une rationalité issue de représentations théoriques sur le monde. (partie que l’on peut omettre)
Le rationalisme c’est l’usage de la raison. Et l’on peut, je pense, utiliser sa raison de manières très différentes. Ainsi, ce que l’on conçoit souvent comme un manque de rationalité, les rituels par exemple, sont, il me semble un autre type de rationalité. La question qui se pose est plus celle de l’efficacité. Si l’on accorde plus de crédit à la rationalité scientifique moderne, c’est qu’elle nous semble plus efficace par rapport aux problèmes auxquels on est confrontés qui sont souvent des problèmes techniques : monter des charges, transmettre des signaux, prévoir la météo, etc.
Mais si nos problèmes sont d’un autre ordre : sensibles, spirituels, etc. Alors, un autre type de rationalité peut se révéler plus efficace. Ainsi, dans mon cas, j’adopte et j’adhère à la rationalité scientifique occidentale lorsque je suis confrontée à des problèmes techniques, ou quand je procède à une recherche de faits et de synthèse, en sciences humaines aussi. Par contre, je me tourne vers d’autres rationalités quand je cherche à comprendre le sens profond des évènements ou des relations entre les êtres, les émotions, et quand je cherche à saisir ma place en ce monde. Les pensées traditionnelles de l’Inde me fascinent car elles proposent un autre mode de connaissance, où le but ultime est la libération. Dans cette tradition, le corps s’affiche comme un élément fondamental du savoir, et l’esprit est appréhendé dans ses multiples facettes, non limité à la simple rationalité. Il faudrait donner des exemples : le yoga, la médecine ayurvedique, les différentes philosophies et formes de logique. Bien sûr, il ne s’agit pas d’idéaliser les autres traditions, mais de voir en chacune d’elles ce qui manque dans la nôtre. Ainsi, l’approche réductionniste permet de d’étudier les parties, mais elle néglige la globalité, on le voit par exemple dans les spécialités médicales qui réduisent le corps à ses parties. Les peuples indigènes, malgré toutes leurs différences géographiques, culturelles, me fascinent aussi dans leur perception particulière du même souffle vital animant des espèces si différentes, et leur capacité à apprendre d’elles, à communiquer avec, à adapter leur comportement, leurs besoins. Là aussi, il ne s’agit pas d’idéaliser ces savoirs, mais les dévaloriser n’est pas davantage souhaitable. Ce qui est souhaitable, c’est une capacité d’ouverture. Et pour cela, il faut d’abord procéder à un bon balayage intérieur : décoller les œillères liées à notre éducation – ce qui dans mon cas, est toujours en cours !

Question 4 : Dans toute notre histoire nous avons montré comme le dit Jacques Derrida « une difficulté à considérer l’étranger, l’autre ». Sans idéaliser les autres traditions il s’agit de les explorer et de comparer. Et c’est de cela que nous aimerions que vous nous parliez en puisant dans vos thèmes. Par exemple, les indiens Kogies ou diverses traditions indiennes d’Asie

Considérer l’autre, c’est s’autoriser une introspection sur soi. Si nous avons eu dans notre histoire, et si nous avons encore parfois des « difficultés à considérer l’autre, l’étranger », cela vient pour une part de notre difficulté à nous considérer nous même, à analyser notre propre culture non comme une norme, mais comme une variété parmi un ensemble de diversités humaines, non comme la norme, mais comme une singularité. Considérer l’autre impose de remettre aussi en cause nos fonctionnements habituels. Ainsi, nous avons pour habitude de considérer qu’il est bon de chercher à dépasser nos limites : les limites du développement, de la technique, du progrès, de la croissance, de l’efficacité. Alors que dans bien des peuples traditionnels, ce qui est valorisé c’est la connaissance des besoins et le fait de s’y ajuster, afin de ne pas dépasser les limites du territoire. Un exemple fameux est cette tradition du potlach chez les Indiens de la côte Ouest, aux Etats-Unis, qui consiste à détruire de manière ostentatoire les surplus. La pratique du tapu (qui a donné le mot « tabou ») en Papaouisie est aussi une manière de respecter des limites d’exploitation du territoire. Considérer l’autre, c’est questionner les origines, qui est « autre » ? De quel territoire venons-nous ? Et ainsi poser la question du lien avec sa terre, de ses racines. C’est souvent un sujet délicat, qui plus est dans nos sociétés devenues si mobiles, si mélangées. Beaucoup de gens se sentent déracinés. Or, le rattachement à un territoire est ce qui construit notre lien avec notre environnement, c’est aussi ce qui nous permet de prendre conscience de la beauté, de la force et de la fragilité de l’écosystème qui nous entoure. Et de vouloir le protéger. Ainsi, certains Touaregs établissent-ils un pacte de protection réciproque avec leur territoire. La plupart des sociétés traditionnelles –celles qui le sont encore, j’entends ou qui l’ont été- vivent des ressources de leur territoire (pas au-delà de 20 km en général), en autonomie, sans pour autant renier l’échange de biens avec d’autres peuples. Ils savent que leur autonomie dépend de la préservation de leur territoire. J’ai été fascinée par les Ladakhis, ce peuple de l’Himalaya qui vit à une altitude moyenne de 4000m ! Leur territoire est un désert, l’eau est très rare, la végétation donc tout autant. Mais au sein de ces myriades de variations rocheuses, ils ont sur créer des zones de vie luxuriantes. Ils ont su déployer les ressources. Ils ont su développer une autonomie propre, parce que tout était valorisé. L’idée de déchet n’y existe pas. Un yak – vache locale, plutôt bien fournie en poils – peut fournir les poils pour les cordes, la peau pour les tentes, les sabots pour les cuillères, la pense pour le barattage, sans compter les cornes, les os, la viande, le lait… L’animal est précieux autant vivant que mort. Rien n’est à jeter. Tout se révèle précieux. Aujourd’hui, au Ladakah, les canettes de coca, les sacs plastiques ont fait leur apparition. Dans leur esprit, encore, la notion de déchet n’est pas présente. Que faire de cette canette ? Ils la jettent à la terre, qui saura peut-être quoi en faire. Mais nous, comment avons-nous pu penser un objet sans valeur, comment avons nu peu créer des « déchets » ?
Considérer l’autre c’est faire un retour sur soi, un « scan » de nos manières d’être. On l’a dit, il ne s’agit pas de créer des dichotomies : eux-bien, nous-pas bien. Il s’agit de progresser ensemble. Apprendre des peuples traditionnels, mais quoi ? Des technologies, oui, quelques unes, notamment des techniques agricoles, médicinales. Mais surtout des manières d’être en relation avec ce qui nous entoure, la terre, les autres, les « esprits ». D’ailleurs, peut-être que ce qui nous perturbe les plus quand on considère « l’étranger », c’est qu’il nous rappelle parfois que l’esprit n’est pas que dans nos têtes. Qu’il peut être dans les arbres, les forêts, les montagnes, les fourmis, et même dans « cet étranger » ! Qu’il n’y a pas un monde devant nous bien réel et seulement matériel, mais qu’il existe d’autres mondes. Le chamanisme est l’un des moyens de mise en relation de ces mondes là. Chez les peuples indigènes que j’ai rencontrés, l’individu disparaissait sous le collectif, la communauté. Et l’esprit se déployait au-delà du monde matériel, au-delà du monde des humains. Ma plus grande remise en question est venue des Indiens d’Inde, justement au sujet de ce qu’est l’esprit. Dans la France où j’ai vécu, l’esprit m’apparaissait comme un concept à mi-chemin entre l’âme et l’intellect, mais sans existence véritable. S’il y avait un esprit, c’était qu’il y avait une personne, un « moi », un ego ou un individu bien différencié. L’individu avait vraiment un statut privilégié ! En Inde, l’individu, l’ego disparaît. En tous cas, c’est le but affiché par les traditions philosophiques et spirituelles. Les illusions de l’ego, de ses passions, de ses attachements. Pour découvrir l’esprit, il faut se rendre maître de son mental, dompter ses pulsions, ses ignorances, reconnaître ses émotions, habiter son corps au présent. C’est une voie de progrès, une parmi d’autres. Et nous en avons beaucoup à explorer pour franchir les impasses écologiques ou humanitaires que nous auto-construisons, avec nos egos.

1-      Pourriez-vous pour l’Almanach Soldes, retracer brièvement l’historique les grandes étapes qui ont séparés l’homme de la (sa) nature?
Retracer plusieurs millénaires d’histoire en quelques lignes va être une gageure, mais je veux bien me prêter au jeu. Déjà, je voudrais commencer par signaler que les grandes étapes que je vais décrire ne sont pas exhaustives quant à la rupture homme/nature, il y en a probablement d’autres qui ont échappé à mon analyse. L’objectif est donc surtout de montrer que la rupture n’est pas due à un seul évènement, mais à plusieurs couches successives. Et les citer permet de nettoyer notre mémoire collective, afin de mieux dévoiler ce qui dans les sociétés modernes occidentales, aveugle notre relation à la nature. La première étape a été l’agriculture, il y a près de 10 000 ans : la domestication des plantes et des animaux a modifié radicalement cette relation, en schématisant, on peut dire qu’ils sont passés d’une relation horizontale à une relation verticale (dominant/dominé). Puis, les grandes civilisations, il y a environ 4000 ans, ont développé des techniques agricoles plus intensives (charrue, irrigation par exemple), qui ont permis une grande quantité de surplus et de stockage ; développant une distorsion dans la relation besoin-production. L’ordre social et l’ordre cosmique restent cependant encore liés : ainsi, un cataclysme était perçu comme la conséquence d’un désordre social. C’est une autre étape, l’avènement de la rationalité par de grands réformateurs comme les philosophes grecs, vers le VIème siècle avant J.-C. qui désarticulera ce lien. L’esprit et la nature se séparent. Puis, petit à petit, des religions monothéistes s’affirment, et les divinités des forêts, des mers ou du ciel, quittent la nature pour n’exister que sous la forme d’un Dieu unique et transcendant, un Dieu qui n’est plus sur Terre, mais dans les cieux. La nature perd de sa sacralité, et son exploitation par l’homme se déculpe. Je navigue de siècles en siècles, en omettant de signaler que chacune de ces étapes, si elle a consommé un peu plus la rupture, n’en a pas moins apporté des éléments essentiels à l’humanité, la philosophie en est un exemple. C’est aussi le cas pour l’humanisme, notre cinquième étape de la rupture. Mettant l’homme et l’humanité au centre du monde, la nature n’y tient plus que le rôle de subvenir à leurs besoins, leur liberté et leur grandeur. L’homme s’élève au dessus-de la nature. Les lumières et l’avènement du cartésianisme, de l’empirisme, du positivisme, consommerons encore cette rupture, la nature devenant alors sujet d’expériences, « afin qu'elle soit transformée en servante » dira Bacon, dans son « novum organum ». L’ère actuelle est peut-être l’apogée de cette soumission, où le maître mot est la croissance, sous-entendant une exploitation toujours accrue de ressources.