Article
Par Sabine Rabourdin, publié dans Biocontact en 2006
La
question de l’alimentation est au cœur des enjeux des changements
climatiques, de par sa responsabilité, mais aussi par les impacts à
venir.
Le
climat a toujours fluctué. Ce qui est nouveau, c’est l’extrême
rapidité et l’ampleur du changement qui est en train de se produire.
Depuis l’avènement de l’ère industrielle, il y a 200 ans et le début de
notre course à la surproduction, nous avons modifié l’effet de serre,
grand régulateur de la température sur Terre. En effet, nous avons
progressivement accentué la quantité dans l’atmosphère de certains des
gaz à effet de serre – GES) – (CO2, CH4 et N2O) et introduit de nouveaux GES, dits artificiels (CFC, HCFC, SF6…).
Les émissions de ces gaz sont en majorité issues de l’exploitation de
combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), utilisés pour les
transports, le chauffage, l’industrie mais ils proviennent aussi de
l’agriculture ou des déchets.
Le
secteur de l’alimentation est source d’émissions de GES. Cela peut
surprendre, car ces émissions sont invisibles à l’œil humain, mais le
secteur agricole contribue déjà pour près d’un quart aux émissions de
GES de la France en tonnes équivalet Carbone (teq) de CO2. Le
secteur de l’alimentation n’est pas comptabilisé en tant que tel, mais
il regroupe l’agriculture, une part du secteur des transports et celui
de l’industrie. Et il faudrait lui ajouter une bonne part du secteur
des déchets et celui de l’énergie !
D’où viennent les gaz à effet de serre ?
-
Les sols cultivés reçoivent plus d’azote que de besoin : fumier,
engrais, épandage, retombées atmosphériques… l’azote non utilisé par les
plantes ruisselle et se volatilise en partie sous forme de N2O.
-
Le méthane émane des gaz digestifs des mammifères, et en particulier
des éructations des ruminants. Inhérent à toute décomposition de matière
organique, il provient également de la décomposition des déjections
animales et des déchets végétaux. Les émissions de méthane du bétail
représentent 20 % des émissions annuelles mondiales de ce GES, au
pouvoir de réchauffement 23 fois plus élevé que le CO2. Une seule vache laitière produit environ 75 kg de méthane par année, l’équivalent de 1,5 t de CO2 !
-
L’agriculture et la pêche consomment des combustibles fossiles :
pétrole pour les machines, gaz pour le chauffage des serres ou des
étables, électricité, etc. Cela émet du CO2.
-
Les industries productrices d’engrais et de produits phytosanitaires
sont grandes consommatrices de pétrole et donc émettrices de GES.
- Enfin, l’industrie alimentaire est également source de CO2 : énergie issue de la transformation des aliments, de leur conservation et de leur transport.
Quels risques agricoles et alimentaires ?
Les
scientifiques du Groupe d’experts internationaux sur l’étude du climat
(1) (Giec) tentent de prévoir les modifications climatiques en
fonction des différents scénarios de réduction des émissions mis en
place par les sociétés.
Depuis le début de la révolution industrielle, la température moyenne sur Terre a augmenté de 1°C (2) et la plupart des estimations, font état pour 2100 d’une température moyenne à la surface du globe comprise entre 1,1°C et 6,4°C. A
titre de comparaison, une amplitude de 4°C est comparable à celle qui a
fait basculer il y a 14 000 ans le climat du dernier âge glaciaire au
climat tempéré que nous connaissons aujourd’hui.
Le
réchauffement ne sera pas uniforme et devrait s’avérer moindre dans
l’hémisphère Sud que dans le Nord. Or, les pays de l’hémisphère Sud sont
plus sensibles au réchauffement, car ils connaissent déjà des épisodes
de sécheresse récurrents.
L’intensité
du dérèglement sera aussi fonction des influences climatiques locales.
Paradoxalement, certaines régions devraient subir également un
refroidissement (joint au réchauffement global), comme une partie de la
France, avec la déviation vers le sud du Gulf Stream.
Les conséquences sur l’alimentation
Effets de la montée des eaux
La
fonte des glaciers et la dilatation par réchauffement des océans
devraient entraîner une élévation du niveau de la mer d’environ 50 cm au
cours de ce siècle, ce qui provoquerait la salinisation des nappes
phréatiques situées en bord de mer, rendant incultivables certaines îles
et zones côtières (une partie de la côte chinoise, par exemple).
A mesure que la concentration des sels dissous augmente, la capacité
des racines d’absorber à la fois l’eau et les éléments nutritifs
diminue. Par exemple, une salinité modérée à élevée peut réduire d’au
moins 50 % le rendement de la plupart des céréales et des oléagineux. La
toxicité peut être attribuable au bore, au sodium ou au chlorure. Ce
problème est déjà constaté dans beaucoup de régions (Floride par
exemple) où les coûts de production agricole augmentent, ayant pour
résultat une hausse des prix des denrées alimentaires.
Effets de l’augmentation des températures
-
Risques sur les espèces animales et végétales : la lenteur des
évolutions naturelles du climat a permis aux espèces végétales et
animales de s’adapter et de migrer. Aujourd’hui, se produisant 50 à 100
fois plus rapidement, ces changements déplacent les équilibres
climatiques et écologiques. De nombreuses espèces élevées ou cultivées
sur des territoires ne seront plus adaptées en ces lieux. Les
écosystèmes terrestres et marins subiront de profondes modifications de
leur composition et de leur répartition. Or les capacités d’adaptation
des écosystèmes sont environ 0,1°C par décennie soit 1°C sur l’ensemble
du XXIe siècle, chiffre qu’il ne faudrait pas dépasser…
- L’augmentation de la température dans les régions les plus froides devrait augmenter les rendements et favoriser de nouvelles cultures
à ces endroits-là. Par exemple, une augmentation de la température de
1,5°C d’ici 2050 en Grande-Bretagne, sans variation des précipitations,
permettrait une culture répandue du maïs ou de la vigne dans le sud de
l’Angleterre. De même, le réchauffementdurant la période froide, dans
les régions les plus fraîches, pourrait réduire les besoins en
alimentation du bétail, réduire sa mortalité et ses besoins en énergie.
Ce sera par contre l’inverse dans les régions chaudes, où
l’augmentation des températures, déjà élevées, fragilisera le bétail et
diminuera les rendements des cultures.
- Une hausse de la température causera aussi une prolifération des parasites,
qui survivront à l’hiver et pourront alors accomplir davantage de
cycles reproductifs. La pyrale du maïs, par exemple, pourrait se décaler
jusqu’à 500 kilomètres vers le nord, pour une élévation de 1°C.
Même
s’il devrait pleuvoir globalement plus sur la planète, la disparité de
ces précipitations ne sera pas à l’avantage de l’agriculture :
amplification dans les régions déjà pluvieuses et diminution dans les
régions désertiques (autour des tropiques et en Méditerranée notamment).
L’accroissement de l’effet de serre devrait augmenter le rayonnement
net à la surface du globe et ainsi favoriser l’évaporation, qui ne
serait que partiellement compensée par l’augmentation des
précipitations. Les sols seront donc plus secs et les sécheresses plus
nombreuses.
Le
raccourcissement et l’irrégularité des périodes propices à la croissance
des plantes fragiliseront les agricultures du monde, ce qui pourrait
contribuer à une pénurie alimentaire à l’échelle mondiale, en
particulier si la démographie continue de croître au rythme actuel.
Les
tempêtes et les inondations, plus importantes, rendront difficilement
cultivables certaines îles et zones côtières (une partie de la côte
chinoise, par exemple).
Effets de la hausse de CO2 dans l’atmosphère
Les
plantes croissent en raison de la photosynthèse dont la cadence serait
stimulée par des taux plus élevés de dioxyde de carbone. Ainsi, la
cadence de croissance et la productivité des plantes pourraient
augmenter pendant un temps, en particulier pour les cultures développées
dans des régions fraîches et tempérées (blé, riz, soja) mais moins
pour les cultures des régions tropicales (sorgho, maïs, canne à sucre)
(3). Cependant, une hausse du taux de CO2,
accompagnée d’une augmentation importante de la température et d’une
augmentation modérée des pluies, raccourcira la période de croissance,
et à terme entraînera une baisse de la production.
Ainsi,
il ne faut pas prendre en compte la variation d’un unique paramètre,
mais faire intervenir les interactions qui peuvent exister entre toutes
les composantes de variation du climat.
Face
au changement climatique, ce qui sera le plus notable sera les
disparités entre le Nord et le Sud, le Nord bénéficiant de meilleures
conditions climatiques propres à l’agriculture et donc de meilleurs
rendements (environ + 10 % au Nord contre -5 % au Sud d’ici 30 ans). Les
effets positifs au Nord pourront compenser en partie les effets
négatifs au Sud de manière globale, mais ceci ne présage pas des effets
sociaux d’une telle disparité, qui seront l’enjeu majeur.
D’autres pratiques agricoles
Selon
le Giec, une réduction immédiate par 4 des émissions de GES est
nécessaire si l’on veut les stabiliser à leur niveau actuel et ne pas
dépasser 2°C d’augmentation. d’ici 2100. )
Au niveau de l’alimentation, les mesures à prendre sont nombreuses et potentiellement très efficaces :
Modification des terres (pas compris cet intertitre. pourquoi ne pas le Juste au dessus, c’est plutôt une intro à ce qui suit
La végétation, tout comme les humains, absorbe et rejette en permanence du CO2
pour croître, Ainsi, toute activité ayant une incidence sur le volume
de a biomasse présente dans la végétation et dans le sol a un impact
sur le climat. Si, pendant les cinquante années à venir, les terres
agricoles et les forêts étaient gérées durablement – c’est-à-dire de
manière à en renouveler les ressources –, elles pourraient encore fixer
sur l’ensemble de cette période un quart des émissions probables
d’origine humaine sur la même période (4).
Il existe de multiples manières de favoriser le phénomène naturel de stockage du carbone par les sols agricoles :
-
développer les pratiques d’agroforesterie sur des terres agricoles :
boiser par endroits les terres cultivées, planter des haies (avec
d’ailleurs d’autres avantages comme la lutte contre l’érosion, le
captage des nitrates, les corridors écologiques, etc.) ;
- enherber le sol des vignes et des vergers ;
-
choisir certains types de culture (espèces adaptées aux nouvelles
conditions climatiques) et privilégier celles produisant le plus de
biomasse, sans tomber dans l’excès des cultures intensives ;
--préserver la fertilité des sols forestiers.
Plus les quantités d’azote apportées dépassent les besoins réels de la plante, plus les émissions de N2O
sont importantes. Pour les réduire, il est donc essentiel d’évaluer au
plus près les besoins des cultures. Il faudrait aussi utiliser au
maximum les déjections d’élevage comme engrais, valorisant ainsi des
matières qui auraient sans cela de toute façon conduit à des émissions
de N2O. De nombreuses cultures peuvent par ailleurs se passer
d’intrants azotés, car elles auraient la capacité de s’approvisionner
seules en azote atmosphérique pour peu qu’elles soient associées à
certaines légumineuses qui ont la faculté de fixer cet azote (le trèfle
blanc, par exemple).
La pratique du compostage limite également la production de N2O car il fournit un engrais « naturel ».
Déchets agricoles
Le
méthane issu des déjections animales et des déchets végétaux permet la
production d’énergie et la récupération du résidu de la fermentation
comme compost… Si l’essentiel des déjections stockées était méthanisé,
le biogaz récupéré permettrait de couvrir les besoins énergétiques du
secteur agricole (5).
Les
avantages des agrocarburants sont manifestes pour le climat.
Toutefois, les végétaux utilisés pour les agrocarburants doivent, sous
peine de voir leur bénéfice planétaire annulé, être cultivés dans une
approche d’agriculture durable et ne pas faire concurrence à
l’alimentation.
Les déchets
agricoles sont une bonne solution : leur quantité est colossale et ils
peuvent être transformés pour produire du carburant par gazéification
ou méthanisation.
Ecoresponsabilité
La
maîtrise des consommations énergétiques des engins agricoles peut
s’appuyer sur la diminution de la fréquence des labours, et sur des
engins et des bâtiments plus économes en énergie. La consommation d’eau
est source d’émission (acheminement, traitement). Il devrait être
possible d’éviter les arrosages perdus en pleinechaleur. La
généralisation de la récupération des eaux usées permettrait aussi des
réductions d’émissions.
Les
restrictions éventuelles de disponibilité en eau vont probablement
rendre nécessaire l’emploi de nouvelles techniques d’irrigation. Les
exploitations devront s’orienter vers une moindre spécialisation pour
avoir davantage de liberté d’adaptation, et notamment parce que
certaines espèces ne seront plus cultivables selon les régions.
Consommer différemment
Moins de viande !
La consommation de viande en Europe a plus que doublé depuis 1960. Et les autres pays se mettent à suivre ce modèle.
Or
la production d’une calorie de steak d’élevage intensif nécessite
environ 10 fois plus d’énergie qu’une calorie de céréale. De plus, les
animaux d’élevage, et en particulier ovins et bovins, émettent une forte
quantité de méthane.
On
pourra donc éviter de consommer de la viande à chaque repas et donner
plus de place aux légumineuses (lentilles, pois) et céréales. La
combinaison de ces deux types d’aliments remplace d’ailleurs les
protéines de la viande.
Si
nous mangions moins de viande (et de produits laitiers), nos élevages
européens pourraient redevenir extensifs et le bétail pourrait se
délecter d’herbes de pâturage de nos montagnes et marais au lieu d’un
soja cultivé sur les cendres de la forêt amazonienne, à l’autre bout de
la planète.
Limiter
l’« operculophilie » (un peu abscons, trouver une autre formule,
j’aime bien pourtant !), le suremballage, c’est minimiser les émissions
de GES qui leur sont associées au niveau des déchets, mais aussi des
transports et de l’énergie produite pour les fabriquer.
Local, de saison et bio
Les produits biologiques ont un impact moindre sur le climat (moins de N2O).
Les produits locaux et de saison réduisent le recours à la
consommation d’énergie des serres et au transport. Par exemple, une
tomate cultivée hors sol en hiver est dopée avec 100 fois plus
d’énergie qu’elle n’en contient.
Il
vaut mieux privilégier les achats de proximité, la vente directe (très
peu de transport) et les circuits courts. Par exemple, un camion qui
transporte 9 tonnes de fraises, de Madrid à Nîmes, émet 100 g / t / km,
soit 9 x 1 000 km x 100 = 900 kg de CO2.
Un
yaourt aux fraises totalise pour le transport de son pot et de son
contenu 3 500 km, et 4 500 km pour les fournitures ! Comme
alternative : la production in situ de yaourt ou de kéfir qui ne consomme pas d’autre énergie que celle du radiateur ou du frigo…
Du
combustible fossile est utilisé pour déshydrater le jus d’orange… Rien
que le transport du concentré de jus d’orange destiné au seul marché
allemand consomme ainsi 40 millions de litres de carburants et émet plus
de 100 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
La solution est de favoriser la production de jus de fruits ou sirops locaux.
Perspectives
L’alimentation
face au changement climatique sera le résultat des adaptations du
monde agroalimentaire, de la mise en place d’une agriculture plus
locale, plus écologique et plus flexible. Concilier les enjeux
environnementaux nécessitera de ce fait une implication des
consommateurs. Ils devront peut-être en contrepartie payer les produits
plus chers et revoir leur modèle alimentaire.
Ingénieureet
écrivain scientifique, elle a travaillé sur les liens entre les
changements climatiques et l’énergie, la biodiversité ou l’éducation.
LIVRE DE L’AUTEUR
- « Changement climatique – comprendre et agir »,
éd Delachaux et Niestlé, 2005 (réédition septembre 2008), un guide des
causes, des objectifs et surtout des solutions applicables face au
changement climatique, à chaque niveau de la société.
Pour approfondir
Réseau Action Climat France : www.rac-f.org
1.
Le Giec – en anglais, IPCC : Intergovernmental Panel on Climate Change
– est l’organisme mondial officiel d’expertise scientifique, technique
et socio-économique sur le climat. Il regroupe plus de 2 000
scientifiques. Leurs rapports d’évaluation sont consultables sur le site
www.ipcc.ch.
2.
Les scientifiques ont prouvé que la température et la concentration
des principaux gaz à effet de serre ont suivi des évolutions
parallèles.
3. (Source : www.cndp.fr/magsvt/espace/entretien.htm, Rencontre avec Gabriel Cornic).
4.
Brown S., Sathaye J., Cannel M. et Kauppi P., « Management of Forest
for Mitigation of Greenhouse Gas Emissions », in R.T. Watson MC.
Zinyowera et R.H. Moss eds., Climate Change 1995. Report of working
group II, Assessment report, IPCC, Cambridge Press, Royaume-Uni, 1996. Les
calculs pour la forêt se fondent sur l’hypothèse qu’il existe
aujourd’hui 345 millions d’hectares de terres adaptées aux activités de
boisement / reboisement et d’agroforesterie, environ 0,76 Gt de carbone
par an pourraient être fixées au cours des 50 prochaines années.
5. Christian Couturier, « Degré ou de force », Territoires, novembre 2003, p. 38.