Alors
que normalement la saison cyclonique atlantique se termine fin novembre, le
mercredi 30 novembre, la tempête tropicale Epsilon s’est mutée en cyclone de
catégorie 1 sur l’échelle de Saffir-Simpson. Epsilon est la 26e tempête
tropicale (avec des vents compris entre 63 et 118 km/h) de l’année 2005
et le 14e cyclone (les vents des cyclones sont supérieurs à 119km/h). C’est
donc un double record inégalé pour l’Atlantique !
Mais le recors sera sûrement battu l’année
prochaine, car la saison 2006 s’annonce très active, démarrant peut être même
avec un mois d’avance, début mai au lieu de début juin.
C’est pourtant un sentiment d’incompréhension qu’inspire le bilan désastreux de cette série inhabituelle de cyclones. Catastrophe « naturelle » ? C’est une question qui se pose. L’humanité n’y est-elle pour rien ? Quels liens ces phénomènes entretiennent-ils avec la question tant actuelle du changement climatique et indirectement avec celle du pétrole ?
Avec Wilma, jamais un cyclone d'une
telle puissance n'a été répertorié dans l'Atlantique. De catégorie 5, force
maximale que compte l'échelle Saffir-Simpson, il a été d’une force bien
supérieure à Katrina – qui avait provoqué l'inondation de La Nouvelle-Orléans
et la mort de plus de 1 200 personnes fin août.
L’analyse statistique relative aux cyclones montre que le XXe siècle et le début du XXIe siècle ont
connu une vraie évolution par rapport aux siècles passés :
- Le nombre de cyclones est en très forte augmentation. Les records de nombre de cyclones annuels
se battent d’année en année.
- Leur intensité (qui est fonction de la vitesse des vents) a
formidablement augmenté. Alors qu’on atteignait rarement plus de 200 km/h au début du XXe
siècle, on observe aujourd’hui régulièrement des cyclones à plus de 300 km/h, voir même 350.
- Leur zone géographique s’étend : pour la première fois, un cyclone a
touché l’hémisphère Sud, sur le littoral du Brésil en 2004.
- L'énergie totale dissipée par les cyclones de
l'Atlantique Nord et du Pacifique Ouest a plus que doublé depuis 1950.
Comment naît un ouragan ? Température
de l'eau supérieure à 27°C
sur au moins 50 m
de profondeur océanique, air froid et vents soufflants dans la même direction.
Mais il n’est pas inutile de rappeler que l’augmentation de la température des
océans, un élément primordial de cette chaîne, est sans conteste du au
changement climatique. Une étude, publiée le 4
août 2005 dans Nature, montre que la courbe de la puissance
des cyclones évolue de façon très similaire avec celle de la température de la
surface des océans.
La température de surface des océans
n’est pas le seul facteur déclencheur de cyclones mais elle contribue nettement
à les entretenir (d’où l’augmentation de leur force en arrivant sur les zones
émergées). Si tous les experts semblent d’accord pour dire que le
réchauffement global de la planète augmente les surfaces océaniques chaudes et
donc accentue les conditions favorables à la cyclogenèse (formation de
cyclones), nul ne sait réellement comment les autres facteurs évolueront. Face
à ce genre de question, on retrouve comme souvent devant les annonces
« alarmistes » ceux qui croient en un scénario catastrophe (où tous
les phénomènes s’aggravent les uns les autres) et ceux qui pensent au contraire
que la nature bienveillante compensera les effets aggravants par des
rétroactions négatives qui rétabliront l’équilibre...
Ainsi le cisaillement des vents situés
entre la surface des océans et la haute troposphère sera-t-il diminué (amenant
à davantage d’occurrences cycloniques) ou augmenté (moins de cyclones) ? L'humidité de l'atmosphère et l'instabilité des
masses d'air conduiront elles à des modifications ? Si les eaux sont plus
chaudes, " El Niño " risque d’être plus important ce qui entraînerait
une diminution de l'activité cyclonique...
Mais le constat est là : Katrina,
Wilma et les autres sont sans doute un peu des enfants du changement
climatique. Et les Etats-Unis un parent du changement climatique : rappelons
qu’ils sont responsables de près du tiers des émissions de gaz à effet de serre
dans le monde. Le gouvernement de ce pays a une autre responsabilité devant ce
phénomène : il s’est consacré depuis plus de dix ans à affaiblir les
négociations climat et à décrédibiliser le Protocole de Kyoto, seul outil
international en usage sur cette question. Drogué de pétrole, le pays perd de
sa lucidité.
Mais il n’y a pas que de l’insouciance
dans cette attitude, il y a aussi de la malveillance : la proximité de la Maison Blanche avec
les industries pétrolière l’a conduite à modifier intentionnellement la teneur
de certains rapports scientifiques gouvernementaux sur le changement
climatique. Le président George W.Bush ne cache d’ailleurs pas son hostilité
pour la lutte contre le changement climatique : « J'ai refusé le
protocole de Kyoto parce qu'il aurait endommagé l'économie américaine, il
aurait détruit l'économie américaine, c'était un accord pourri pour l'économie
américaine", a-t-il dit lors d'un entretien diffusé par la chaîne de
télévision britannique ITV le 4 juillet dernier. Quoi d’étonnant à ce qu’il ne
se soit rien passé toujours rien de décisif à la conférence internationale sur
le climat qui a eu lieu à Montréal à la fin d’année. Les Etats-Unis cherchent
une solution qui ne nuise pas à leur économie. Pourvu qu’ils la trouvent
vite !
Mais l’économie américaine
appréciera-t-elle le coût des dégâts causés par les changements
climatiques ? Le calcul vaudrait la peine d’être mené : Katrina s’annonce
la tempête la plus chère de l'histoire américaine, certains analystes évaluent
à 26 milliards de dollars son coût pour les compagnies d'assurances. On peut
aussi ajouter aux calculs le coût des sécheresses et canicules et leur impact
sur l’agriculture du pays, la valeur de l’eau potable, les coûts sanitaires,…
Qu’il faille investir dans la remise en
état de la digue de la
Nouvelle Orléans, cela ne fait aucun doute pour les
Américains, c’est ce qui s’appelle une stratégie d’adaptation dans le jargon
climatique ; mais à quand l’investissement réel et personnel dans la lutte
contre les causes du changement climatique ?
Il y a donc un coupable tout
désigné : le pétrole, ce fameux or noir qui dirige l’économie et la
politique américaine comme le reconnaît indirectement lui-même le président
Bush.
La combustion des combustibles fossiles
(pétrole en première ligne) est reconnue maintenant comme l’un des principaux
responsables du dérèglement du climat mondial (mais il ne faut pas oublier la
déforestation, l’agriculture intensive, les gaz frigorigènes, etc). Basculer
vers un monde sans pétrole est donc un des moyens de lutter efficacement contre
ce dérèglement. Mais l’avancée des techniques, argument principal du président
sur ce sujet, sera nécessaire mais insuffisant. Ironie du sort, il semble que
la hausse des prix du pétrole soit bien plus convaincante que des cyclones pour
inciter à se questionner sérieusement sur les grandes questions énergétiques. D’ailleurs ces deux aspects, climat et pétrole, se
renvoient bien la balle. Car dans le genre de rétroactions négatives, il en est
une pour le moins imprévisible par les climatologues. L'ouragan Katrina a
touché un point névralgique de l'économie américaine. La région du golfe du
Mexique couvre en effet 30% des besoins en pétrole des Etats-Unis et 24 % de
leurs besoins en gaz. De même, 60 % des exportations céréalières transitent par
les ports de cette région. La
destruction suite aux cyclones des raffineries
a conduit à élever le prix du pétrole, ce qui a entraîné le soucis de
l’économiser (aux USA les 4x4 n’ont plus la cote). C’est un peu l’hypothèse
Gaia qui refait surface : un dérèglement est causé (ici le climat), il
induit des conséquences (ici des cyclones) et celles-ci vont avoir un facteur
limitant sur la source du dérèglement (ici l’augmentation du prix du pétrole
qui réduit son usage et donc les émissions de gaz à effet de serre,
responsables du changement climatique).
Toujours est-il que depuis que le cours
du baril flambe, on se prend à espérer que les énergies renouvelables se
verront octroyer des crédits de recherche dans le monde, des commandes en
nombre permettant de réduire les coûts, des démarches administratives plus
conciliantes, etc. On se prend à espérer que les mesures visant à économiser
l’énergie seront prises au sérieux, subventionnées ou ambitieuses, comme par
exemple celle de réduire la vitesse sur autoroute en France…
Car le gouvernement français n’est pas
moins responsable du changement climatique que les Etats-Unis : dans ce
domaine, il s’agit plus de volonté initiatrice que de chiffre. Un seul chiffre
devrait compter : celui d’une division par 4 des émissions des pays
développés d’ici 2050. Et pour sa part, la France n’a pas de quoi être fière : le Plan
climat qu’elle est censée mettre en place traîne des pieds. Au lieu de
subventionner la hausse des prix du baril, l‘Etat devrait de pied ferme se
mettre à subventionner les alternatives au pétrole, dans les domaines du
transport, du chauffage, de l’agriculture et de la consommation. La démarche
est la même dans chacun de ces secteur : d’abord moins de gaspillage,
ensuite viser ce qui a un rapport d’efficacité maximum, et alors enfin ce qui
est renouvelable (ou biologique pour l’agriculture) pourra s’imposer comme
solution au niveau de la production.
Faut-il attendre que les catastrophes
« naturelles » touchent violemment le pays pour réduire notre dépendance
envers le pétrole ? Faut-il attendre que les raffineries soient mises hors
d’usage comme en Louisiane et que le coût du pétrole flambe ainsi davantage,
engrangé dans des boucles de rétroactions négatives ? Faut-il suivre
longtemps encore l’exemple américain et attendre la fin des interminables
calculs des avantages et des inconvénients économiques avant d’agir nous aussi?
Sabine Rabourdin
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