3/17/2016

Katrina au pays du pétrole






Alors que normalement la saison cyclonique atlantique se termine fin novembre, le mercredi 30 novembre, la tempête tropicale Epsilon s’est mutée en cyclone de catégorie 1 sur l’échelle de Saffir-Simpson. Epsilon est la 26e tempête tropicale (avec des vents compris entre 63 et 118 km/h) de l’année 2005 et le 14e cyclone (les vents des cyclones sont supérieurs à 119km/h). C’est donc  un double record inégalé pour l’Atlantique !
 Mais le recors sera sûrement battu l’année prochaine, car la saison 2006 s’annonce très active, démarrant peut être même avec un mois d’avance, début mai au lieu de début juin.
 
C’est pourtant un sentiment d’incompréhension qu’inspire le bilan désastreux de cette série inhabituelle de cyclones. Catastrophe « naturelle » ? C’est une question qui se pose. L’humanité n’y est-elle pour rien ? Quels liens ces phénomènes entretiennent-ils avec la question tant actuelle du changement climatique et indirectement avec celle du pétrole ?

Avec Wilma, jamais un cyclone d'une telle puissance n'a été répertorié dans l'Atlantique. De catégorie 5, force maximale que compte l'échelle Saffir-Simpson, il a été d’une force bien supérieure à Katrina – qui avait provoqué l'inondation de La Nouvelle-Orléans et la mort de plus de 1 200 personnes fin août.

L’analyse statistique relative aux cyclones montre que le XXe siècle et le début du XXIe siècle ont connu une vraie évolution par rapport aux siècles passés :
- Le nombre de cyclones est en très forte augmentation. Les records de nombre de cyclones annuels se battent d’année en année.
- Leur intensité (qui est fonction de la vitesse des vents) a formidablement augmenté. Alors qu’on atteignait rarement plus de 200 km/h au début du XXe siècle, on observe aujourd’hui régulièrement des cyclones à plus de 300 km/h, voir même 350.
- Leur zone géographique s’étend : pour la première fois, un cyclone a touché l’hémisphère Sud, sur le littoral du Brésil en 2004.
- L'énergie totale dissipée par les cyclones de l'Atlantique Nord et du Pacifique Ouest a plus que doublé depuis 1950.

Comment naît un ouragan ? Température de l'eau supérieure à 27°C sur au moins 50 m de profondeur océanique, air froid et vents soufflants dans la même direction. Mais il n’est pas inutile de rappeler que l’augmentation de la température des océans, un élément primordial de cette chaîne, est sans conteste du au changement climatique. Une étude, publiée le 4 août 2005 dans Nature, montre que la courbe de la puissance des cyclones évolue de façon très similaire avec celle de la température de la surface des océans.
La température de surface des océans n’est pas le seul facteur déclencheur de cyclones mais elle contribue nettement à les entretenir (d’où l’augmentation de leur force en arrivant sur les zones émergées). Si tous les experts semblent d’accord pour dire que le réchauffement global de la planète augmente les surfaces océaniques chaudes et donc accentue les conditions favorables à la cyclogenèse (formation de cyclones), nul ne sait réellement comment les autres facteurs évolueront. Face à ce genre de question, on retrouve comme souvent devant les annonces « alarmistes » ceux qui croient en un scénario catastrophe (où tous les phénomènes s’aggravent les uns les autres) et ceux qui pensent au contraire que la nature bienveillante compensera les effets aggravants par des rétroactions négatives qui rétabliront l’équilibre...
Ainsi le cisaillement des vents situés entre la surface des océans et la haute troposphère sera-t-il diminué (amenant à davantage d’occurrences cycloniques) ou augmenté (moins de cyclones) ? L'humidité de l'atmosphère et l'instabilité des masses d'air conduiront elles à des modifications ? Si les eaux sont plus chaudes, " El Niño " risque d’être plus important ce qui entraînerait une diminution de l'activité cyclonique...

Mais le constat est là : Katrina, Wilma et les autres sont sans doute un peu des enfants du changement climatique. Et les Etats-Unis un parent du changement climatique : rappelons qu’ils sont responsables de près du tiers des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Le gouvernement de ce pays a une autre responsabilité devant ce phénomène : il s’est consacré depuis plus de dix ans à affaiblir les négociations climat et à décrédibiliser le Protocole de Kyoto, seul outil international en usage sur cette question. Drogué de pétrole, le pays perd de sa lucidité.
Mais il n’y a pas que de l’insouciance dans cette attitude, il y a aussi de la malveillance : la proximité de la Maison Blanche avec les industries pétrolière l’a conduite à modifier intentionnellement la teneur de certains rapports scientifiques gouvernementaux sur le changement climatique. Le président George W.Bush ne cache d’ailleurs pas son hostilité pour la lutte contre le changement climatique : « J'ai refusé le protocole de Kyoto parce qu'il aurait endommagé l'économie américaine, il aurait détruit l'économie américaine, c'était un accord pourri pour l'économie américaine", a-t-il dit lors d'un entretien diffusé par la chaîne de télévision britannique ITV le 4 juillet dernier. Quoi d’étonnant à ce qu’il ne se soit rien passé toujours rien de décisif à la conférence internationale sur le climat qui a eu lieu à Montréal à la fin d’année. Les Etats-Unis cherchent une solution qui ne nuise pas à leur économie. Pourvu qu’ils la trouvent vite !
Mais l’économie américaine appréciera-t-elle le coût des dégâts causés par les changements climatiques ? Le calcul vaudrait la peine d’être mené : Katrina s’annonce la tempête la plus chère de l'histoire américaine, certains analystes évaluent à 26 milliards de dollars son coût pour les compagnies d'assurances. On peut aussi ajouter aux calculs le coût des sécheresses et canicules et leur impact sur l’agriculture du pays, la valeur de l’eau potable, les coûts sanitaires,…
Qu’il faille investir dans la remise en état de la digue de la Nouvelle Orléans, cela ne fait aucun doute pour les Américains, c’est ce qui s’appelle une stratégie d’adaptation dans le jargon climatique ; mais à quand l’investissement réel et personnel dans la lutte contre les causes du changement climatique ?

Il y a donc un coupable tout désigné : le pétrole, ce fameux or noir qui dirige l’économie et la politique américaine comme le reconnaît indirectement lui-même le président Bush.
La combustion des combustibles fossiles (pétrole en première ligne) est reconnue maintenant comme l’un des principaux responsables du dérèglement du climat mondial (mais il ne faut pas oublier la déforestation, l’agriculture intensive, les gaz frigorigènes, etc). Basculer vers un monde sans pétrole est donc un des moyens de lutter efficacement contre ce dérèglement. Mais l’avancée des techniques, argument principal du président sur ce sujet, sera nécessaire mais insuffisant. Ironie du sort, il semble que la hausse des prix du pétrole soit bien plus convaincante que des cyclones pour inciter à se questionner sérieusement sur les grandes questions énergétiques. D’ailleurs ces deux aspects, climat et pétrole, se renvoient bien la balle. Car dans le genre de rétroactions négatives, il en est une pour le moins imprévisible par les climatologues. L'ouragan Katrina a touché un point névralgique de l'économie américaine. La région du golfe du Mexique couvre en effet 30% des besoins en pétrole des Etats-Unis et 24 % de leurs besoins en gaz. De même, 60 % des exportations céréalières transitent par les ports de cette région. La destruction suite aux cyclones  des raffineries a conduit à élever le prix du pétrole, ce qui a entraîné le soucis de l’économiser (aux USA les 4x4 n’ont plus la cote). C’est un peu l’hypothèse Gaia qui refait surface : un dérèglement est causé (ici le climat), il induit des conséquences (ici des cyclones) et celles-ci vont avoir un facteur limitant sur la source du dérèglement (ici l’augmentation du prix du pétrole qui réduit son usage et donc les émissions de gaz à effet de serre, responsables du changement climatique).

Toujours est-il que depuis que le cours du baril flambe, on se prend à espérer que les énergies renouvelables se verront octroyer des crédits de recherche dans le monde, des commandes en nombre permettant de réduire les coûts, des démarches administratives plus conciliantes, etc. On se prend à espérer que les mesures visant à économiser l’énergie seront prises au sérieux, subventionnées ou ambitieuses, comme par exemple celle de réduire la vitesse sur autoroute en France…
Car le gouvernement français n’est pas moins responsable du changement climatique que les Etats-Unis : dans ce domaine, il s’agit plus de volonté initiatrice que de chiffre. Un seul chiffre devrait compter : celui d’une division par 4 des émissions des pays développés d’ici 2050. Et pour sa part, la France n’a pas de quoi être fière : le Plan climat qu’elle est censée mettre en place traîne des pieds. Au lieu de subventionner la hausse des prix du baril, l‘Etat devrait de pied ferme se mettre à subventionner les alternatives au pétrole, dans les domaines du transport, du chauffage, de l’agriculture et de la consommation. La démarche est la même dans chacun de ces secteur : d’abord moins de gaspillage, ensuite viser ce qui a un rapport d’efficacité maximum, et alors enfin ce qui est renouvelable (ou biologique pour l’agriculture) pourra s’imposer comme solution au niveau de la production.

Faut-il attendre que les catastrophes « naturelles » touchent violemment le pays pour réduire notre dépendance envers le pétrole ? Faut-il attendre que les raffineries soient mises hors d’usage comme en Louisiane et que le coût du pétrole flambe ainsi davantage, engrangé dans des boucles de rétroactions négatives ? Faut-il suivre longtemps encore l’exemple américain et attendre la fin des interminables calculs des avantages et des inconvénients économiques avant d’agir nous aussi?

Sabine Rabourdin

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